La véranda
La véranda
de
« Si on colle l'oreille à la porte des livres et aux portes de la nuit,
si on fait bien attention,
on peut entendre la conversation des poètes. »
© Claude Roy
« Le volcan était là, planté devant lui, majestueusement, Les yeux gonflés de sommeil et les paupières à moitié ouvertes, il urinait en faisant des cercles sur le sol mouillé.
En haut dans le ciel, un gligli affamé planait en poussant des cris stridents. Les flamboyants dont les énormes racines comme des tentacules de poulpes géants avaient fait prisonnières de grosses roches volcaniques pourtant si résistantes.
A la nuit tombée le gros fromager insufflait des pouvoirs dépassant l’entendement.
Comme tous les enfants du monde, il se posait des questions sans réponse, qui ne servaient à rien mais qui lui permettaient d’apprécier son environnement dans lequel il vivait, trouvant et donnant de l’importance aux choses banales que seul son esprit compliqué était capable de concevoir. Il surveillait les nids des sucriers, dont il avait fait l’inventaire, essayant de prendre d’avance les mangoustes affamées.
On entendait la rivière gronder, emportant tout sur son passage, délogeant d’énormes roches, elles se fracassaient en un vacarme incessant.
Il se voyait déjà sauter, les pieds en avant du grand manguier, recommençant encore et encore les plongeons jusqu’à la perfection où seule la voix de sa mère, la jupe relevée jusqu’aux genoux battant avec force le linge sale sur une roche, allait le tirer de sa rêverie.
Sa mère l’appelait : « Ti moun ! »
Dominique Lancastre, est un oiseau sur long courrier, il travaille à British Airways comme personnel navigant commercial, son écriture française-créole est un vent coloré des îles antillaises, une voix d’ailleurs. Il a la légèreté du cerf-volant du jeudi après-midi jour de congé, la vivacité des pêcheurs d’écrevisses, la débrouillardise des chasseurs de tourterelles à pâte à colle de fruit à pain, et un sourire irrésistible qui rappelle les arrivées casse-cou des glissades enfantines sur les grandes roues en caoutchouc…c’est avec son cœur d’enfant qu’il a écrit « La véranda ».
« La journée terminée, je regagnai ma chambre où m’attendait au fond du cartable la contre-vérité de nos Ancêtres les Gaulois de Mme Duverger que j’avais à mémoriser pour le supplice du lendemain. Mais je faisais de mon mieux ; l’idée même de savoir que le soir venu, la véranda allait revivre, m’encourageait à expédier avec efficacité les leçons de la journée.
La nuit avait couvert la Grivelière d’un épais drap noir, et l’on apercevait au loin les lampes à pétrole de diverses maisonnettes. L’oncle René, parut paré de son grand chapeau de paille, une bouteille de rhum enveloppée dans un papier journal à la main. Je m’installais sur un vieux banc derrière la fenêtre qui donnait sur la véranda et j’épiais par un trou entre deux planches du mur. La véranda entrait en scène ! » L’oncle René et Richard comme des prêtres captivant leurs fidèles un dimanche de Pâques, par leurs voix allaient faire résonner l’esprit des « autres » fantômes du passé, le rhum fruité graissait leur gorge ; « Ti Moun » subjugué, buvait l’averse des mots, une eau bénite sanctifiée qui l’abreuvait dans la nuit chaude étoilée..
En ce temps-là disait l’Oncle René …les contes se succédaient : celui de " la Dame au grand chapeau ", sur les plantations des Blancs et puis des Békés, celui du " Lapin blanc ", un nègre marron qui pour échapper à ses maîtres s’était transformé en lapin blanc, celui de la " bougresse " dont la beauté égalait celle de Néfertiti, celle de "l’homme à la chaîne". Des histoires autrement palpitantes qu’une journée chez les Gaulois, mais qui souvent trop effrayantes le prenaient de panique ; alors il se mettait les deux mains sur les oreilles.
Mais un soir la nuit du 25 mai 1967, les histoires les plus extraordinaires furent remplacées par des évènements quotidiens, la véranda s’était mise dans l’ombre de la révolution, l’oncle René décida de se rendre à la Pointe pour apporter son soutien aux ouvriers des bâtiments en grève, réclamant des augmentations que les Békés leur refusaient. De cette nuit-là la rumeur courait que les képis rouges matraquaient et cassaient les jambes des blessés, ils avaient l’ordre de tous les massacrer, de les faire taire. Ils étaient venus casser du nègre. L’oncle René disparut et « Ti moun » n’entendit plus jamais parlé de lui.
L’auteur, Dominique Lancastre, par son action d’écriture remue ceux qui se lamentent sur « la perte des valeurs » par une jeunesse friande de coca cola, les écouteurs sur les oreilles, dont les parents inconscients laissent leur bébé gambader sans surveillance dans le couloir de l’oiseau de fer, des insulaires se plaignant de la vie trop chère, un monde considéré comme assisté par la métropole, où la « négritude » sépare et la « créolité » rassemble. Il est des évènements que les livres d'Histoire de France ne mentionnent pas, si des documents restent encore protégés, la parole des survivants se réveillera en 2017 dans un soucis de transparence.
Loin de cultiver la nostalgie, l'auteur fait ici œuvre utile en mettant le doigt sur un sujet politique régulièrement occulté en métropole, mais qui reste en souffrance dans les cœurs guadeloupéens.
Sans pour autant vouloir déposer un lourd héritage ascendant sur les frêles épaules de la jeune génération guadeloupéenne, Dominique Lancastre redresse la colonne vertébrale de L’Humanité historique et dessinera clairement dans les deuxièmes et troisièmes parties de ce roman à venir, la construction vivante d'un présent conditionné au droit à la parole et à la reconnaissance des faits afin de retrouver la paix intérieure qui élèvera l'avenir des consciences.
Il n’y a pas d’esprit revanchard, son style d’écriture est un mélange de parfums qui vous attire dans ses pensées « caramel », il s’agit de faire comprendre le « tout Antillais », en avançant par petites touches, rien n’est imposé, tout est suggéré, chaque jeune lecteur pouvant s’investir selon ses propres choix et avancer à son propre rythme dans l’envie d’en savoir plus.
Dominique Lancastre a réussi son pari celui de rendre la lecture attractive pour les enfants de primaire, il écrit d’une manière sucrée et plus contemporaine, son roman qui était au départ un seul livre, s’est fractionné en trois fascicules où l’oncle René restera le héros principal.